2 - Droit de préemption pour la préservation des ressources en eau

Mis à jour le 24/07/2023
Cet article reprend les dispositions du nouveau droit de préemption instauré par le décret d'application du 10 septembre 2022

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique a instauré un nouveau droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine. Ce cadre législatif fait suite à la seconde séquence des assises de l’eau qui a affirmé le rôle essentiel des collectivités territoriales et leurs groupements en charge de la compétence eau potable dans les démarches de protection des captages. En conséquence, les capacités à agir et la légitimité des collectivités ont été renforcées en élargissant le champ de la compétence « eau » du bloc communal à la protection de la ressource en eau destinée à la consommation humaine. Le nouveau droit de préemption concerne les aliénations à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole, des bâtiments d’habitation attachés à une exploitation ainsi que des terrains nus à vocation agricole. Il vise à concéder au titulaire de nouvelles opportunités en maîtrise foncière des terres situées dans les aires d’alimentation de ses captages d’eau potable. Cette maîtrise foncière ne peut en aucun cas soustraire les parcelles de leur usage agricole, elle vise l’installation de cultures et de pratiques facilitant la lutte préventive contre les pollutions diffuses d’origine agricole.

Le décret d’application n° 2022-1223 du 10 septembre 2022 apporte les modifications nécessaires à la mise en œuvre du droit de préemption au code de l’urbanisme (articles R.218-1 à R.218-21), ainsi qu’au code général des collectivités territoriales (article R.2224-5-4).

Pour ouvrir le droit à préemption, la commune, le groupement de communes, ou le syndicat mixte compétent en eau potable doit engager une procédure auprès du préfet de département sur lequel se situe le captage faisant l’objet de la demande. Si les conditions sont réunies, l’instruction aboutit à la prise d’un arrêté préfectoral par lequel le demandeur devient titulaire du droit de préemption sur tout ou partie de l’aire d’alimentation du captage.

L’ouverture du droit ne peut concerner que les périmètres pour lesquels la contribution à la qualité du captage est justifiée. En conséquence le demandeur doit établir un lien de cause à effet en produisant les études hydrogéologiques permettant de définir l’aire d’alimentation du captage (AAC).

La demande doit être assortie d’une note de présentation du territoire, des pratiques agricoles qui y sont installées et des démarches d’animation et actions mises en œuvre dans le cadre de la prévention des pollutions diffuses. Le cas échéant, les études diagnostiques de pressions (aléas), les programmes d’actions déployés et leur évaluation sont joints et explicités.

La collectivité doit enfin établir un argumentaire précisant les motifs de sa demande, justifiant le choix du périmètre qu’elle propose, et joindre au dossier une délibération sollicitant l’instauration du droit de préemption.

Les services du préfet de département disposent d’un délai de six mois à compter de la réception du dossier complet de demande d’instauration du droit de préemption pour statuer, toute décision rejetant la demande devant être motivée. Ce délai comprend l’ensemble des consultations attachées à la procédure parmi lesquelles : les communes situées sur tout ou partie du territoire visé par le droit de préemption, les Chambres d’agriculture, Sociétés d'Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (SAFER), Commission locales de l’Eau (CLE) concernées par le périmètre ainsi que toute autre personne publique bénéficiant d’un droit de préemption sur des terrains inclus sur ce périmètre. Le projet de décision est communiqué au demandeur qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit, il est enfin soumis à l’avis du conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CoDERST).

L’arrêté préfectoral instituant le droit de préemption comprend la désignation du titulaire du droit, le périmètre sur lequel ce droit est appliqué et l’énoncé des considérations de droit et de fait qui le motivent. Les effets juridiques attachés à l’institution du droit ont pour point de départ l’exécution des formalités de publication au recueil des actes administratifs et de publicité dans deux journaux. La décision est également mise à disposition du public, de la chambre des notaires, des tribunaux judiciaires compétents et des organismes et personnes publiques dont l’avis a été sollicité lors de l’instruction de la demande.

Quelques éléments complémentaires à noter (dans le cadre législatif):

  • Il existe des exemptions à ce droiten lien avec les exceptions prévues à l'article L143-4 du code rural.
  • Les différents outils réglementaires de préemption font l’objet d’une priorisation des droits. Ainsi les droits de préemption urbains, de zones d’aménagement différé et d’espaces naturels sensibles priment sur le droit de préemption de préservation de la ressource en eau.
  • Les biens acquis en préemption sont intégrés dans le domaine privé du titulaire du droit. Ils ne peuvent être utilisés qu’en vue d’une exploitation agricole compatible avec l’objectif de préservation de la ressource. Ils peuvent être cédés de gré à gré, loués ou enfin concédés temporairement à des personnes publiques ou privées à la condition que ces dernières les utilisent à des fins prescrites par un cahier des charges prévoyant les mesures nécessaires à la préservation de la ressource et annexé à l’acte de cession, location ou concession.

Points d’attention (hors cadre législatif strict):

  • Dans sa demande, la collectivité est incitée à apporter une attention particulière sur la vulnérabilité de l’aquifère, de manière à pouvoir le cas échéant restreindre le droit de préemption aux secteurs réellement contributifs à la qualité du captage.
  • L’argumentaire précisant les motifs de la demande et justifiant le choix du périmètre doit être suffisamment robuste pour engager le préfet de département à accorder le droit de préemption.
  • La préemption est de l’entier ressort du titulaire du droit, lequel doit en conséquence disposer des moyens nécessaires à toutes les démarches qui seront activées après l’instauration du droit, et notamment en phase opérationnelle de recours à ce droit.
  • Le foncier est un secteur sensible, sur un marché peu actif (avec un temps de retour moyen des biens tous les 70 ans) mais où il faut être en mesure d’agir rapidement lorsqu’une opportunité se dégage. En conséquence une collectivité titulaire de ce droit peut le déléguer par concession à une SAFER et avoir, au préalable ou lors de la demande d’instauration du droit, engagé une véritable démarche de stratégie foncière (donc au-delà d’une simple veille foncière). Il est ici rappelé qu’un accompagnement financier peut être sollicité auprès de l’Agence de l’Eau pour acquérir des bien destinés à la protection de la ressource en eau, sous conditions parmi lesquelles on note l’engagement d’une étude foncière.
  • Le nouveau droit de préemption pour la préservation de la ressource en eau reste in fine un outil foncier parmi d’autres déjà existants et assez souvent utilisés sur les aires de captages : baux ruraux, cahiers des charges à clauses environnementales par les SAFER, obligation réelle environnementale, outils de réorganisation du foncier (échanges de parcelles selon la vulnérabilité pour la ressource en eau) notamment. Voir la fiche "outils fonciers" du ministère de la transition écologique